©Photo Karen Cantú Q
Longtemps, j’ai grandi avec cette croyance que la volonté était la clé pour obtenir ce que l’on désirait le plus ardemment. Peut être le crois-je encore, en partie. Un bon boulot ? « Travaille dur, fais de bonnes études et tu l’auras ». L’amour ? « Chaque pot à son couvercle », aucune raison de ne pas trouver le tiens. Regarde aussi comme tu es exigeante, si tu avais un peu moins d’attentes, tu trouverais, c’est sûr ! ». La guérison de ton cancer ? « Le moral joue tellement ! Ça ne fait pas tout mais reste positive, la guérison n’en sera que plus rapide ». Un bel appart ? « Allons, donne-toi les moyens de réussir, c’est pas si compliqué que ça ». Un bébé ? « Arrête d’y penser, tu verras, ça viendra tout seul ! »
Sauf que parfois, non, ça ne suffit pas. Vouloir très fort quelque chose n’est pas la garantie l’obtenir. Adresser des voeux à l’univers, croire en la pensée magique, à une puissance qui nous dépasse, au destin, croiser les doigts, éviter de passer sous une échelle, réciter des mantras, faire le vide en soi pour accéder à son « soi » le plus profond, méditer, tenter de lire et d’interpréter les énergies qui émanent de notre être, faire un détour de plusieurs centaines de kilomètres pour allumer un cierge après avoir touché une poignée de porte, être adepte de la fameuse méthode Coué… tout cela ne résout pas nécessairement le problème. Nous ne sommes pas toujours responsable des choses qui nous arrivent ou qui ne nous arrivent pas, quelle que soit l’intensité de nos désirs les plus chers.
Ces mots, j’aurais voulu les entendre lorsque j’étais au coeur de la plus grosse tempête de ma vie.
11 ans et plusieurs longs mois, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour devenir maman. On m’a appris à ne jamais rien lâcher, à toujours croire en mes rêves, à tout faire pour qu’ils se réalisent, quitte à y laisser une partie de ma santé mentale en cours de route. Et un paquet de fric. Après tout, « il suffit de le vouloir », « arrête d’y penser », « tu te souviens de Machine ? Et bien figure-toi que le jour où ils ont reçu l’agrément pour l’adoption, paf, elle est tombée enceinte ! », « Tu as essayé ça ? Et ça ? et ça ça ça ? », « Il est bien ton médecin ? Tu devrais aller voir Machin Truc, c’est le meilleur ! ». Et j’en passe.
J’ai essayé tellement de choses. J’ai lutté, j’ai lâché prise, j’ai dépensé une somme inavouable en rendez-vous de médecins et marabouts de toutes sortes, prête à croire n’importe qui, n’importe comment, toute à la tristesse qui m’habitait chaque jour un peu plus. J’ai tenté d’identifier les verrous de ma volonté, puis essayé de les faire sauter un à un. J’ai réfléchi des heures, des jours, des années durant à ce qui pouvait faire qu’on, que je n’y arrivais pas. J’ai décortiqué la moindre de mes émotions puis la moindre de mes réactions. Tristesse et culpabilité allaient croissant : puisque c’était une question de volonté, pourquoi est-ce que je n’y arrivais pas ? Quel putain de verrou inconscient n’avais-je pas encore identifié et réussi à faire sauter ? Hypnose, psychothérapie, magnétisme, ostéopathie, acupuncture, chamanisme… J’ai tenté de l’identifier par tous les moyens, en me connectant à mes émotions, en remontant à la génése de qui j’étais, mon enfance, mes parents, mon éducation… je n’en pouvais plus de disséquer ma vie dans ses moindres détails, de passer mon petit nombril à la loupe encore et toujours pour quoi, au juste ?! Qu’est-ce qui faisait que tout le monde y arrivait et pas moi ?
Sauf que, justement, tout le monde n’y arrive pas.
En réalité, je ne suis pas certaine que cela m’aurait aidée de l’entendre. Je ne sais pas si j’aurais été prête à accepter l’idée même que je pouvais continuer à vivre sans donner corps à mon souhait le plus cher. Ce que je sais, c’est que ça m’apaise un peu, a posteriori.
On m’a beaucoup félicitée, quand j’ai annoncé que ça y est, on avait réussi : enfin, j’attendais moi aussi ce bébé tant désiré ! Mon cercle intime s’est réjouit, d’abord. Il y a eu beaucoup d’émotions, des pleurs, des (trop rares, merci le COVID) embrassades. Il y a eu de la joie, une joie immense, dévorante, bouleversante. Et qu’est-ce que ça m’a fait du bien !
J’ai attendu longtemps pour l’annoncer « publiquement ». Je me souviens que j’en parlais avec mes proches. Je leur disais « ok, cette fois-ci c’est bon, je l’annonce sur Instagram, c’est débile quand même ça fait 7 mois, j’ai envie de partager ma joie avec ma communauté ». Et puis non, je repoussais encore et toujours, par peur que cet indicible bonheur ne décide finalement de se faire la malle, comme ça, pffft. Le déconfinement est venu, je le cachais de plus en plus difficilement…. Certains m’en ont voulu de ne pas le leur avoir dit, comme les infirmières adorables qui m’ont si bien accompagnée pendant le traitement et à qui je n’avais pas réussi à dire que oui, ça avait marché ! Comment leur faire comprendre que j’avais tellement peur que ce bébé tant attendu change d’avis en cours de route ! Puisque j’étais responsable de tout, alors, si je pensais que le bébé n’allait pas rester, forcément, il allait se barrer. Implacable. Et puis je culpabilisais d’être passée de l’autre côté après ces années de lutte contre mon corps, contre moi, ces années de souffrance, comme si je n’y avais pas droit, comme si quitter les rives de la tristesse à laquelle j’étais tant habituée ne m’était pas autorisé, pas légitime. Heureusement que ma psy consultait en visio, oui…!
J’ai finalement réussi à affronter cette peur là et j’ai vécu un deuxième tsunami d’amour absolu qui aujourd’hui encore, me procure une joie et une émotion immenses.
Pourtant, cette vague d’amour indicible, c’est au coeur de la tempête que j’en aurais eu le plus besoin. Quand je n’y croyais plus, que je me fanais et dépérissais sans même m’en apercevoir, quand mes doutes, mes douleurs, aussi bien morales que physiques, mes peurs, ma tristesse se faisaient de plus en plus présentes et oppressantes. Quand le bout du tunnel s’éloignait sans cesse et que la joie vacillait, s’éteignait. J’en aurais eu besoin mais j’aurais eu du mal à l’accueillir, aussi. Je le sais.
On devrait féliciter toutes les femmes, qu’elles aient envie ou non d’être maman. Qu’elles puissent ou non être maman. On mérite aussi d’être félicitées quand ça ne marche pas et qu’on essaye de toutes ses forces. On mérite d’être félicitées, quels que soient les chemins que nous empruntons de gré ou de force. Se faire féliciter, c’est accepter que l’on mérite toutes de faire la paix avec ces injonctions qui s’abattent sur nous à longueur de journées, depuis qu’on est nées. Parce que non, quand on veut, on ne peut pas toujours. Et que la vie est belle, malgré tout.
Merci Anne-Solange de t’être confiée au micro de Laura <3
Merci pour ces mots vibrants et émouvants.
Et ce texte qui s’adapte à tous les combats de vie.
Quand on veut, on ne peut pas toujours.
C’est très difficile d’accepter d’être impuissant, se retirer de la bataille, sans s’effondrer.
Alors bien souvent on continue tête baissée.
Merci Deedee…
C’est sûrement un des plus beaux textes (et un des plus vrais) que tu n’ais jamais écris…
❤️❤️❤️
Texte Magnifique et très émouvant…
Tes mots sont très justes, je les garde en mémoire.
Merci Noémie, merci Véronique
Waouw tellement touchant ! Je l’identifie à 100% ayant connu un parcours fait d’annonces difficile à entendre, d’inséminations et de fiv icsi. Dans ces moments là on est seuls (à 2) mais le reste (famille et amis) est si loin émotionnellement qu’il est difficile de se sentir réconfortés voire même mieux encouragés ou félicités..pour certains, dans un but de réconfort certes maladroit, .c’est comme une épreuve de parcours d’obstacle qu’il « suffirait » d’enjamber en étant bien entraînés…
Cœur avec les mains , je pense fort à toutes les mamans et couples dans la situation
Merci pour ces mots … tellement de vérité. Merci …
Merci à toi Lily
Je viens de terminer le livre La Peau des pêches de Salomé Berlioux sur l’infertilité et ça m’a bouleversé. Et en effet, le quand on veut on peut… ce n’est pas toujours le cas.
Je suis heureuse que vous ayez pu avoir votre bebe <3
Merci beaucoup Deborah <3
Une claque tes mots !
Regardes ton porte clef ;))
Je t’embrasse comme je t’❤️ Et pour de vrai
Je t’❤️ toi tu sais !
Pas de mots mais des ❤️
❤️❤️❤️
Oh c’est tellement touchant!!! J’ai un couple d’amis qui traverse en ce moment ce parcours qu’est la pma et ça m’agace tout ce que beaucoup de gens leur dise…. a base de n’y pense pas, tu stresses trop… je vois leur souffrance et que certains, sans penser à mal, leur rajoute une dose de culpabilité.
Je sais que chacun espère trouver le bon mot pour apaiser la peine ou le désarroi qu’ils peuvent ressentir mais peut être que simplement les écouter c’est déjà pas si mal.
Oui, c’est ça. Ecouter, ou respecter leur envie de ne pas en parler. Savoir que ses proches seront là si on en a besoin, c’est l’essentiel 🙂
Et je comprends pour cette peur que le bébé se fasse la malle pendant la grossesse, j’ai eu exactement la même… pourtant je suis tombée enceinte très vite et j’avais peur d’être punie de cette chance.
Voilà, c’est exactement ça!
Magnifique … bravo, à toi et à nous toutes
Je ne trouve pas les mots mais merci pour ce texte qui me parle beaucoup.
Aussi bien pour notre désir d’enfant qui ne vient pas que pour des proches parti trop tôt face à la maladie malgré le fait qu’ils se « soient battus » comme on dit.
Malheureusement on peut se battre et la maladie gagne tout de même.
❤️❤️❤️
J’aurai pu écrire quasiment mot pour mot ce texte. Merci de mettre les mots et de partager ce que nous ressentons ❤️
❤️❤️❤️
Très beau texte…
Je t’embrasse
Merci Agnès 🙂
J’ai quelques connaissances qui ont fait des PMA et j’ai toujours essayé de les soutenir, mais surtout de les écouter car ce process est tellement lourd dans tous les sens du terme. Je pense que j’ai eu de la chance de ne pas avoir à traverser ces épreuves et j’ai un immense respect pour ces mamans dont le chemin a été si compliqué. En lisant ton témoignage, je découvre que la plaie est encore à vif. Je ferais encore plus attention aux gens que je connais et qui sont passés par ce chemin
C’est tellement difficile aussi pour les proches. Perso j’ai tendance à rejeter quand je ne vais pas bien, et parfois un peu violemment… Pas évident de trouver sa place dans cette équation..!
Personnellement, je trouve que ce quand on veut, on peut est un des phrases les plus dévastatrices pour le moral. La sacro sainte volonté n’est que rarement le problème. En revanche, elle permet à celui ou celle qui la prononce de se dédouaner de ce qui arrive à l’autre. Elle n’est pas une aide, elle est un jugement. Depuis quelques années déjà, j’ai pris le parti d’intervenir à chaque fois que je l’entends, de ne plus laisser personne se sentir mal à cause d’elle. Et de ne plus laisser personne juger celui ou celle qui lutte. Merci pour ton partage
Merci à toi. Je pense que la volonté nous aide à accomplir beaucoup de choses, mais il est urgent en effet de reconnaitre ses limites ! Tu as raison, j’interviendrai moi aussi dans les occasions qui se présenteront pour mettre les points sur les « i » 🙂
Texte magnifique, bouleversant. Merci d’avoir publié ces mots, qui feront sans doute écho au ressenti de beaucoup d’autres femmes. Et bienvenue de l’autre côté, après cette solitude, il y a la solidarité des jeunes mamans qui savent aussi que « l’après » n’est pas toujours simple malgré l’amour absolu qu’on porte à nos enfants 😉
Oui, je culpabilise souvent quand je suis énervée, agacée, je me dis que je devrais être dans une sorte de béatitude complète après avoir autant désiré mon bébé mais spoiler alert indeed : la vie n’est pas un long fleuve tranquille 😀 Merci à toi 🙂
Merci pour ce texte. Oui, on a besoin d’être félicitée quelque soit le succès de ce que l’on entreprend…
Oui!
Magnifique texte Delphine, à cœur ouvert et donc bouleversant. J’ai aussi été bouleversée par le témoignage d’Anne-Solange, cette femme est une pépite d’intelligence et de résilience. Vos deux parcours sont très inspirants et aideront beaucoup d’autres femmes, j’en suis sûre, alors bravo les filles et merci !
Merci pour tes mots qui résonnent très fort en moi… Cette culpabilité que je ne connais que trop bien, cette superstition qui fini par t’habiter, même quand ton souhait le plus fort est niché (doublement) au creux de ton ventre.
C’est vrai on peut vouloir très fort échouer, la persévérance ne fini pas toujours par gagner non plus, mais au moins on aura essayé !
Chère Delphine,
Entre les réflexions qui se veulent bienveillantes, les recettes miracles, les conseils bidons, la culpabilisation involontaire (le fameux c’est dans ta tête), et ma préférée : la fabuleuse légende urbaine de l’amie d’amie « tombée miraculeusement enceinte après avoir arrêté de s’acharner avec la médecine, lâché prise, et laissé faire la nature » (cousine de celle qui est tombée enceinte après avoir eu l’agrément d’adoption, probablement ) le parcours PMA est si dur, et l’issue si incertaine… Je ne m’imaginais pas combien je me sentirais seule malgré l’amour de mon compagnon et la présence des proches pourtant bienveillants, mais qui, par ignorance, ne cessent de blesser tout en voulant du bien…
Alors non, tout n’est pas une question de volonté (pas plus qu’on est infertile parce qu’on a « voulu faire passer sa carrière d’abord et trop attendu », celle là aussi, trop entendue). Merci de l’avoir si bien rappelé.
Merci pour ces mots si juste. Après une première grossesse naturelle, je n’ai jamais réussi à mener une seconde. Malgré des années de FIV, Et ces mots qu’on entend sont tellement blessant. Et tout ça tellement difficile. Et le plus terrible c’est que je me dis encore parfois alors que j’ai clairement passé l’âge que peut être un jour si j’arrête d’y penser…